Vernon Subutex est le nouveau roman de la très talentueuse Virginie Despentes, certainement une des plus grandes romancières contemporaine qui nous a déjà gâté avec des œuvres telles que Baise moi, Apocalypse Bébé ou Les jolies choses. Cette romancière à l’esprit très rock et cynique nous propose avec ce nouveau pavé de presque 500 pages une histoire sur un homme désœuvré qui se retrouve à la rue. Conçu comme une trilogie, je vais vous parler uniquement du premier tome car il est à l’heure d’aujourd’hui le seul que j’ai lu même si je vais m’empresser d’aller acheter la suite. Vous pouvez donc déjà deviner que j’ai adoré cette lecture.
Vernon Subutex est un ancien patron de magasin de disques nommé Revolver, un disquaire quoi, qui suite à l’effondrement du marché du disque au milieu des années 2000 a dû fermer boutique et s’est retrouvé au chômage. Difficile de se reconvertir lorsque l’on a uniquement travaillé en tant que disquaire. S’accrochant aux formations et aux petits jobs occasionnels il s’est vite retrouvé sans allocations chômage. Vivant de la revente des produits musicaux qu’il avait conservés de sa boutique pendant un temps grâce à la magie du net, il finit par vite se retrouver sans le sou et sans moyen de payer son loyer. L’histoire commence lorsqu’ Alex Bleach, rockstar notoire et ami de Vernon qui grâce à ses revenus l’aidait à payer son loyer, décède. Vernon finit alors par se retrouver expulsé de chez lui devenant un cinquantenaire SDF de plus à cause des aléas de la vie et surtout à cause des affres du monde moderne.
Dans sa détresse, Vernon réussit tout de même à « emprunter » un ordinateur portable et à l’aide de son compte facebook, va recontacter de vieux amis afin de squatter chez eux pour une nuit ou plus. Le but étant de repousser le plus possible la terrible échéance de devoir dormir dehors. C’est à travers cet enchaînement de nuits chez l’habitant que Virginie Despentes va nous dépeindre une France dans toute sa pluralité. Vernon croisera des bobos gauchistes, des extrémistes très racistes, des sans-abris, des anciennes stars du X, des riches camés issus du milieu du showbiz, des transsexuels, une jeune musulmane voilée et tant d’autres…Pour chacun de ces personnages nous aurons l’occasion d’entrer dans leurs esprits et de voir le monde tel qu’il est vu à travers leurs yeux. C’est alors la porte ouverte à une satire sociale grinçante et une critique acerbe de nos contemporains. Tout ceci avec une verve et une plume caractéristiques à Despentes. Vulgaire mais sans concessions. Elle manie tellement bien la plongée au travers de chacune de ces personnalités que l’on arrive à comprendre le point de vue de chacun ; autant celui de l’intolérant de service que celui de l’ancienne star du X ayant changé de sexe. C’est écrit avec beaucoup de réalisme en s’identifiant parfaitement à chaque catégorie de population. Un véritable travail de sociologue.
A travers ses rencontres, Vernon sera confronté à ce que beaucoup de cinquantenaires doivent connaître : celui du changement des personnes que l’on connaissait parfaitement étant jeune. Découvrir que des personnes avec qui l’on s’entendait si bien ont totalement changé (ou pas) et se rendre compte que beaucoup nous sont devenues étrangères. Comme si les gens qu’il côtoyait (Vernon travaillant dans un magasin de disque ; il était surtout entouré d’artistes, de musiciens de groupes rock et de groupies, de beaucoup de groupies) avaient décidés de rentrer dans le moule et d’accepter leur déclin inéluctable. Saisissant. Tant de vies, tant de jeunesses, tant de rêves, broyés par la machine infernale qu’est l’existence. Le temps et la décrépitude sociale ont laissés des marques sur nombreux de ses anciens amis. Et Vernon va pouvoir le constater et le partager avec le lecteur. Nous sommes confrontés au fil de la lecture à une peinture sociale de la France plutôt sombre et déprimante. Comme si les aquarelles de notre société tiraient de plus en plus vers le gris. Même ceux qui semblent s’en être bien sorti (que ce soit financièrement ou socialement) ont l’air brisés intérieurement. Despentes nous délivre une image de nos contemporains très triste et amère. Aucune classe sociale n’étant épargnée. On ne peut que faire le constat alarmant d’un peuple déprimé et abattu. Mais le roman n’est pas que nappé de noirceur.
De cette crasse sociale, on arrivera à rire plus d’une fois. Les descriptions que se font chaque protagoniste du monde moderne prêteront plus d’une fois à sourire. Il en va de même pour l’image que se font certains de telle ou telle catégorie de français. Le début du roman avec l’exposition de la vie de Vernon dans son appartement sans le sou, abonné aux pornos sur le net entre autres, prête beaucoup à rire de par le côté grotesque et pathétique dont il est décrit. Et c’est pareil pour beaucoup de personnages, dont le quotidien est décrit de manière tellement absurde qu’on ne peut qu’en rire. Encore une fois la plume de Despentes arrive à faire que la lecture ne soit pas trop lourde et sombre grâce à de lumineuses phrases et descriptions qui arriveront à nous dérider.
De plus, de par son passé de disquaire et son amitié avec la rockstar Alex Bleach, Vernon est un personnage à la culture très rock et avec une vision très désabusée de ses contemporains. Tout comme Despentes qui se sert du personnage principal pour nous exposer son énorme culture musicale ainsi que son regard particulier sur la France d’aujourd’hui. Un véritable régal pour votre serviteur qui se sent très proche de cette culture et de cette vision des choses. Le lien de Vernon avec Alex Bleach, récemment disparu, servira de fil rouge aussi au scénario car il fera que plusieurs protagonistes se mettront à la recherche de Subutex car il a en sa possession des enregistrements inédits de Bleach. Enregistrements qui entre de bonnes mains pourraient rapporter un paquet d’argent bien évidemment. Cela permettra de mettre encore plus en avant le cynisme des acteurs du monde du show business qu’ils soient réalisateurs, éditeurs, producteurs ou autres… tous veulent leur part du gâteau alors qu’ils ont tous très peu de considérations pour Alex Bleach et encore moins pour Vernon.
Clairement, Despentes frappe fort avec ce nouveau roman. Elle dresse un portrait alarmant et édifiant d’une France qui se noie peu à peu dans la dépression et l’égoïsme. Sans détours, elle s’adresse tout particulièrement à cette tranche de population (la sienne) qui a atteint la cinquantaine et constate que rien ne va mieux. Elle annonce aux générations suivantes que la vie n’est pas un cadeau et que tout peut s’écrouler sans prévenir. Que le temps passe vite et que la déchéance des corps et des esprits est une fatalité à laquelle personne n’échappe. Edifiant de vérités et foisonnant de personnages ; Vernon Subutex est une peinture sociale très dense qui ne vous laissera pas sans matière à réflexion. Un livre à dévorer sans retenue où sexe, drogues et rock’n’roll n’aboutissent qu’à une société fragmentée qui se regarde le nombril courant vers son propre déclin à coup d’absurdités et de non-sens.
Un roman (une trilogie même) que j’ai très envie de lire !
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Je viens de m’acheter le 2. J’espère qu’il sera tout aussi bien. Et j’espère que tu apprécieras la trilogie Vinushka.
Alex
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Je n’avais jusque là lu que des avis très mitigés. Je n’ai jamais rien lu de cette auteure mais j’avoue que je ne suis pas spécialement attirée…
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Tant pis alors. Tu trouveras ton bonheur littéraire chez d’autres auteurs 😉
Alex
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De ce que tu en dis cela semble un roman dur et lucide. Pas à lire quand on n’a pas le moral. Mais à lire malgré tout.
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Je ne trouve pas le livre spécialement plombant. J’ai tout de même beaucoup souri en le lisant. Mais il est évident que le style de l’auteur n’est pas celui du happy end.
Alex
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J’avais lu King Kong Théorie de l’auteur et adoré ses mots, son cynisme et sa clairvoyance ! J’ai très envie de lire autre chose d’elle =)
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Son cynisme ainsi que sa clairvoyance sont toujours présents dans Vernon Subutex 🙂
Alex
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Tiens, il est dans ma PAL. Il s’y est retrouvé par hasard et il ne m’attire pas des masses…
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Je peux le comprendre. Je croyais que tout le monde aimait Virginie Despentes mais je réalise qu’en fait son style divise assez.
Alex
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J’adore ton blog! hate de voir la suite 🙂
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Merci beaucoup 🙂
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Je l’ai ajouté à ma wish-list à sa sortie. Après ta chronique j’en viens à la conclusion qu’il me le faut absolument 😉
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Oui, j’espère que tu prendras autant de plaisir que moi à le lire 🙂
Alex
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Je n’aime pas tout chez Despentes (le « Baise-moi » m’avait donné envie de vomir à sa sortie) mais depuis ses 1ers livres, elle a vraiment évolué tout en gardant un style rock’n’roll que j’apprécie.
Donc, 10 fois oui!
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Seulement 10 fois oui???? Allons, un peu de générosité, disons 100 fois oui ;)!!!!
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Allez, ok !
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j’en ai pas entendu du bien jusqu’à maintenant mais ta chronique me donne envie de le lire alors si je le trouve à la bibliothèque je fonce.
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Mdr, réfléchis quand même avant de foncer. Si tu n’apprécies pas sa lecture ça va se retourner contre ma chronique et mon humble personne XD.
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promis je ne t’en tiendrais pas rigueur 😉
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Ton billet est juste superbement bien écrit. Limite ça me donnerait envie d’aller lire au moins une fois un Despentes. Mais je pense qu’il faut avoir le moral et être bien accroché pour s’y plonger. Je vais attendre encore un peu, mais au moins je retiens ce titre !
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Merci beaucoup de tant d’éloges lol. Personnellement, je n’ai pas senti les 500 pages car j’ai lu le bouquin très vite et avec envie.
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A la gare de Strasbourg, il y a ses affiches partout, c’est fou ! Il m’intrigue, mais ne m’attire pas. Marrant l’effet que nous font certains livres ^^ Contente de voir qu’il t’ai plus tout de même 🙂
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Il m’intrigue depuis très longtemps ce bouquin, je vais sans doute me laisser tenter maintenant qu’il est sorti en poche !
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